Le jeu de la chaise.
C’était une superbe journée d’octobre, ensoleillée, chaude, j’étais en forme, heureuse. J’avais décidé d’assister à un forum de la FNAC où Michel Serres présentait son dernier livre « La guerre mondiale »
J’ai une tendresse pour ce philosophe, et étant particulièrement intéressée par le sujet de son ouvrage, pour rien au monde je n’aurais pris le risque d’être en retard. . Exagérant même, j’arrivais sur les lieux trop en avance. Un peu idiote, ne sachant où diriger mes pas, j’optais pour prendre un thé à la terrasse du célèbre Café de Paris. Contraste, j’aime la solitude, mais de temps en temps, je trouve si bon de me mêler à la foule… Le fait de vieillir sans aucun doute.
Comme très souvent, toutes les tables étaient occupées. Je circulais un peu. Ah ! Voici une jolie place avec trois chaises. Je posais la main sur un dossier afin de le déplacer un peu, mais je n’ai pas eu le temps de m’asseoir, et pour cause : Deux dames s’étaient avancées, l’une d’elles se jeta sur « mon » siège…
Est-ce que je joue au jeu « de la chaise libre », pensais-je ? Vous connaissez certainement cette distraction de fin de banquet où l’on place un certain nombre de chaises au milieu de la pièce. Les participants tournent autour de ces sièges, la musique joue fort, s’arrête brusquement, il faut se précipiter pour occuper un siège. Comme il manque une chaise, le moins habile reste debout, il a perdu. Et ainsi de suite jusqu’au dernier joueur.
J’essaye de me souvenir de la personne, autour de la quarantaine, habits sombres, rien d’exaltant. Drôle, je revois une boucle d’oreille se balancer près d’une chevelure terne, et des yeux foncés qui ne m’ont pas regardée.
Puis la gagnante m’a tourné le dos, en un éclair.
Je restais stupide, articulant avec peine « Vous êtes fière de vous ? »
« Ah ! oui, et comment ! » furent ses seuls mots.
Blessée, battant en retraite, je repris le chemin du forum.
Blessée ? Cette toute petite histoire ne vaut pas un fromage ! C’est excessif.
Je mesurais combien je m’étais laissée prendre par l’émotion.
En arrivant, j’étais si bien dans ma bulle, je voulais croire « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».Cette sorte de gifle me réveilla.
Comment pareille scène aurait-elle pu se dérouler différemment ? Afficher une réaction de défense aurait été normal, puisque même mon âge n’a pas soulevé le moindre respect. Mais l’agressivité n’est pas mon fort. Il y avait trois dames, trois chaises, un peu de conversation aurait suffi pour trouver la solution. Quelque chose comme « Permettez-vous Madame, de partager cette table ? » aurait tout arrangé.
Je n’avais aucune envie d’en découdre, je le comprenais : perdu d’avance. J’ai donc abandonné.
Qui était la véritable gagnante du jeu ? À l’évidence, c’était cette dame. Aucune gêne, aucune excuse, peut-être même au contraire, avait-elle le sentiment du vainqueur ?
C’était son affaire, cela ne me regardait pas.
Et moi?...J’ai dû réfléchir, accepter que les bonnes manières soient désuètes dans le quotidien, mais surtout je lui en voulais d’avoir cassé ma bienfaisante humeur. La tristesse m’envahissait, je me sentais seule.
Ma petite voix me murmura : elle n’a peut-être pas encore appris, ou pas eu le temps de
regarder sa façon d’être sous un autre angle, de l’Intérieur….
Alors, tout m’apparut changé. Mentalement j’ai fait un vœu : qu’elle puisse trouver une bonne lecture, ou rencontrer quelqu’un qui lui expliquerait, que l’on peut vivre autrement.
Résultat, par ricochet, je me sentis très privilégiée. Merci la vie !
A nouveau bien dans mon coeur, je me rendais au forum.
Nanna.